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Labourage
Un carré de terre d’une superficie de 450 m2, entouré de roseaux pare-vent sur le coté gauche et bordé, à droite, par un champ de melon. Une surface qu’il a fallu préparer, en la ratissant, comme on enduit une toile d’apprêt.
Comme un peintre s’imprègne de la toile encore blanche ou un sculpteur de la masse informe à laquelle il va insuffler la vie, j’ai d’abord reconnu les caractéristiques, les aspérités géographiques du sol pour mieux, à travers lui, appréhender tous les pas qui l’ont foulé, interpréter, à un moment donné, tous les messages qu’il a pu enregistré au fil du temps.
Faire surgir de ce sol familier, si plein de mes empreintes et dont l’empreinte, elle-même, reste gravée dans ma mémoire, une nouvelle expression jusqu’alors inconnue et pourtant si vivante.
Se placer au centre du champ, penser cette nouvelle expression en prévoyant une vue d’en haut. Se mettre en esprit, en état d’apesanteur. Vision horizontale.
Puis, comme le laboureur, d’un pas sûr et serein, j’ai dessiné, d’un seul trait, sans hésitation et sans erreur, la première esquisse, un premier traçage en blanc.
Un portrait avec des traits noirs sur un trou blanc taché de bleu.
Bleu, couleur royale, symbole d’un royaume, marquage de territoire.
Oeil bleu. Dissymétrie du portrait. Des sillons comme des veines irriguées, des racines à l’envers.
Intervenir à l’aide de moyens agricoles, directement ou symboliquement, pour augmenter la particularité des surfaces proposées en complément des dessins déjà existants.
Un champ se laboure.
Utiliser un motoculteur pour tracer des sillons profonds suivant les contours d’un visage humain. Une bêche pour creuser les yeux et la bouche.
Un agriculteur sème des grains.
Semer des pigments dans les sillons, les yeux et la bouche.
Utiliser uniquement les couleurs symboliques : le bleu souverain et le blanc virginal. Les répartir chacune sur un côté du sillon, bleuir les yeux, blanchir la bouche et les cheveux.
Rôle essentiel de la lumière qui permet la vie.
L’ombre des roseaux crée l’impression des cheveux.
Le jeu du soleil définit les reliefs du dessin, accuse les creux et les bosses.
La lumière, couplée avec le vent qui agite les roseaux, ajoute un mouvement sur la gauche. La chevelure bouge, vibre. A droite, une bande d’herbes, laissée tel qu’elle était, à l’état sauvage, joue, le soir, de la même manière. Sillon en V. Angle dont un bord est pris dans l’ombre quand l’autre est à la lumière. Passage d’est en ouest de la lumière du soleil. Evolution de l’#156;uvre. Portrait mobile. Portrait vivant. Jeux d’ombre et de lumière.
Prolongement du visage par les surfaces environnantes.
Visage non enserré dans un carré mais qui se devine par ces ouvertures, par ce qui n’est pas imprimé. Le non-dit.
L’eau fait vivre une culture. L’eau donne la vie à l’oeuvre.
Dans les champs méridionaux, les conduites d’irrigation sont installées sur les bords. L’eau arrive au niveau du cou, se déverse, se frayant un passage dans les sillons creusés à cet effet. Elle absorbe les premiers pigments, naturels, diluables, se colore avant de se répandre le long des contours du visage, dans les yeux et la bouche. Le circuit achevé, elle ressort de l’autre coté du cou. Un barrage empêche un afflux supplémentaire et l’eau résorbée dans la terre laisse ses traces sous forme de dépôts de couleur par ci par là. L’eau féconde la terre.
Oeuvre révélée grâce à l’eau par le jeu des contrastes des couleurs diluées. Irrigation du centre maternel de la tête. Voyage au centre de l’humain.
La taille de cette sculpture-fresque étant accommodée à celle du terrain, difficile d’en percevoir la totalité sur la terre. Les photographies, prises par hélicoptère, permettent, aussi, d’une certaine manière, de jouer avec l’espace entier, d’accorder à l’œuvre sa vraie dimension.
Résultat : le lopin vague, maintenant corrigé, aménagé dont a été extirpé la fugace vérité.
Dessin, tatouage, gravure, modelage d’un schéma anthropomorphe qui n’attend ni reproduction, ni pérennité, et s’expose aux bravades et ravages du temps. A la merci du vent, de la pluie, de la distraction ou de l’audace « iconoclaste » d’un passant : insecte, animal ou humain.
La vie donnée, ainsi livrée à elle-même dans le mystère de la nature. Métamorphose dynamique mais, ô combien éphémère. Ne chercher en aucune façon à brusquer son évolution. Laisser une totale liberté
Respecter les lois d’un hasard que nous ignorons.
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