Empreinte synthétique

L'empreinte synthétique

C A O U T C H O U C

Texte de Marc-André 2 Figuères

A côté du champ de mon grand père, une poterie : La Vieille Jarre. Un voisin potier, sa fille, dont j'étais amoureux à l’âge de six ans. Enfance. Réminiscence des jeux avec la fille et le fils dans l’atelier du père. Cercle fermé. Répétition des mêmes gestes et actes magiques qui berçaient nos jeux d’enfants.Le père avait mis au point un système de prise d’empreintes pour reproduire de vieilles jarres. Il obtenait ainsi des copies parfaites qu'il vieillissait en les aspergeant d’acide chlorhydrique.
Un jour, il utilisa le latex pour prendre des empreintes.
A force de le voir créer de multiples reproductions à partir d’un même original, a surgi lentement le désir d’utiliser ce produit pour prendre, arracher, les empreintes de ma terre, mon sol natal, mon territoire.
Le contre-moule d’un original qui ne servirait pas à d’autres utilisations mais m'apparaissait, en soi, comme définitif.
Caoutchouc. Intermédiaire entre faux et vrai. Ni original, ni copie. Entre les deux, l’absence. L'empreinte. En prenant une empreinte, je reproduis. La copie ne diffère en rien de l’empreinte.
Caoutchouc, zone intermédiaire, produit de moulage qui capte l’entre-deux, les deux extrêmes. Utiliser le caoutchouc comme produit de prise d’empreintes de mon sol natal et le résultat obtenu servant de démonstrateur de l’image de la terre ainsi capturée.
Deuxième étape après celle du labourage qui était prise de conscience totale afin de se stabiliser sur un territoire éphémère et d’y construire quelque chose.
Réaliser un nouveau type de gravure en appliquant les mêmes procédés que ceux utilisés pour des réalisations sur papier, mais en donnant au résultat une dimension nouvelle, spatiale.
Calquer le principe de la gravure mais en remplaçant chaque étape par ses équivalents plastiques. La terre, comme matrice contenant toutes les traces et toutes les géométries nécessaires pour exprimer tout ce qu'elle a vécu, enregistré, et qu'elle va restituer. Du caoutchouc liquide de synthèse comme receveur, happeur de ce message que la terre matrice va enfanter et dont il recevra l’empreinte. La pression atmosphérique, comme une presse, permettra la polymérisation du produit et la création définitive de la trace enchâssée dans son support.
Effectuer une empreinte à même le sol et obtenir une peau synthétique qui exprime, par simple symbolique des couleurs, la mort avec ses multiples agressions et la vie, par l’unicité de sa texture, augmentée d’une silhouette humaine pour figurer l’âme vivante entièrement, même prélevée dans un simple échantillon, comme une seule cellule renferme les secrets de la Vie.
Terre, toile de fond, peau du monde, peau humaine d’une humanité commune et universelle, géographie lisse et luxuriante, carte d’un continent cutané où les vies animales, végétales, minérales et humaines se confondraient dans un épais sous-bois. La terre comme la peau humaine, formée et empreinte de tout notre vécu, de nos peines, de nos joies... Histoire personnelle, passé propre de chacune des empreintes de la peau que nous racontent les rides, les cicatrices, l’usure, l’assouvissement ou la frustration qu'elle reflète.
Et c'est cette vie que je veux m'efforcer de restituer, ces fantômes enfouis, ignorés ou oubliés, qui sommeillent tout autour de nous et dont l’ombre a tissé inéluctablement le paysage étranger et pourtant si familier de notre présent.
Choisir le terrain comme on apprête un tableau et transposer sur cette toile, hors normes, tout le travail traditionnel. Un choix lent, long, difficile. Scruter la terre, la laisser me séduire, me suggérer des formes, des visages, des envies, regarder les aspérités, les bosses, les creux, les herbes,..me raconter des histoires.
Transposer le procédé de Léonard de Vinci (dans le Traité de l’ombre) qui invite les apprentis-dessinateurs à s'installer dans une pièce ancienne et à regarder les taches d’humidité sur les murs pour y distinguer des formes, des visages.
Une fois cette phase de préparation achevée, l’empreinte enfin mise à nue, la capturer par la mise en place sur la surface choisie du caoutchouc liquide de synthèse (latex synthétique stabilisé à l’ammoniaque et produit par les usines Bayer B 012 S). Caoutchouc qui se polymérise naturellement à l’air ambiant, se durcit en conservant l’empreinte du lieu sur lequel il a été déposé, s'imprègne des messages, capture les empreintes, tel une seconde peau modelée sur celle de la terre, épousant, happant, volant tous ses secrets, ses trésors ordinaires, cailloux, herbes, poussière, et imaginaires.
Etaler le caoutchouc à la main. Empreindre le territoire pour mieux l’emprunter.
Limite technique : ce travail ne peut s'effectuer qu'au cours de saisons chaudes et ventilées. En période de forte hydrométrie, le caoutchouc pourrit.
Deuxième intervention sur ce Territoire Emprunté en y ajoutant les compléments de l’empreinte et du dessin déjà fait. L'écriture n'étant pas bien définie, pas encore parfaitement lisible, nécessité de découper, d’ôter, de trouer ou d’ajouter des éléments extérieurs. Repeindre certaines parties pour mieux mettre en évidence ce qui est ainsi dévoilé. Graver la plaque de terre.
Résultat : une empreinte synthétique, un dessin sculpté, peint et gravé comme une tapisserie.
Première déception, premier désarroi : la peau, presque trop vraie, trop ressemblante, trop suggestive, illusion trop parfaite, attire et répulse en même temps. Les corps, comme les corps humains, exhalent une odeur mais une odeur âcre et tenace qui inspire le dégoût. Obligation quasi-immédiate d’ajouter sur ce sol des figures et des formes humaines, des têtes et des corps, liés l’un à l’autre mais pas l’un sans l’autre.
Dernière intervention et la plus révélatrice : la lumière. Le caoutchouc opaque doit être exposé dans un lieu particulier où la lumière varie. Voir le tableau par transparence comme un vitrail.
Oeuvre visible seulement à certains moments. Selon l’intensité de la lumière, les détails changent, les formes évoluent, suivent le mouvement de la lumière qui s'installe ou s'atténue, un peu à la manière d’une pellicule avec une image unique au ralenti. Une seule image et un éclairage qui se modifient en permanence tout au long d’une révolution solaire. Une oeuvre qui vit au même rythme que l’être humain suivant les évolutions du soleil et de la lumière, une oeuvre-miroir, reflet d’une civilisation.
Empreinte-fantôme, résultat de l’amalgame de ces techniques. Sans oublier la nécessité de la lumière qui rend la vie en transperçant les spectres.
Peau, empreinte fantôme, née de la terre, oeuvre poussière qui, en l’espace de trois à quatre ans, est retournée à la poussière. Tous les caoutchoucs sont morts, désintégrés. Chacun a vécu sa vie propre. Certains sont morts immédiatement, comme littéralement anéantis par le fardeau de la mémoire. D'autres ont pris leur temps. Mais tous ont été victimes de ce qui leur avait donné la vie, tués par ce qui les faisait vivre, usés par le soleil et l’oxydation de l’air.
Ce qui nous donne la vie, nous ôte la vie. Et inversement. Empreintes tellement vivantes qu'elles sont mortes, comme des morts humaines.
Je savais le latex synthétique instable mais je ne m'attendais pas à ce qu'il se désintègre de cette façon et aussi rapidement. Je pensais qu'il vieillirait comme un papier journal, jaunirait, le temps transformant les couleurs. La non-résistance du caoutchouc a, quelque peu, fait avortée cette nouvelle expérience. L'œuvre m'a totalement échappé. Aujourd’hui, elle n'existe plus, je ne peux plus la montrer. Ce n'est plus qu'un rêve, qu'une trace floue qui ne subsiste qu'au fond de moi et de quelques mémoires qui ont su l’engranger. Ne restent que quelques photographies, empreintes tangibles d’empreintes fugaces, fragiles, éphémères qui ont rejoint pour toujours le royaume de l’invisible. Une œuvre ne nous appartient que tant qu'elle est en substance, en gestation. Vivante, elle échappe à son créateur.

 

 

 

OUVRAGES DE REFERENCE

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